La leçon d’embarquement dans le Confort & la Confiance …

Un lundi matin ordinaire, un rendez-vous à l’école vétérinaire, une jument, Sangria (11 ans) qui n’embarque qu’après 2h00 de négociations douces, tendues, tenaces, pugnaces, réconfortantes, insistantes et trois « boîtes » différentes : un van en bois, clair, grand, au pont très bas ; puis un camion avec un chargement latéral ; enfin un camion avec chargement par l’arrière dans lequel elle finit par monter … et une autre jument-amie qui embarque à chaque fois, avant ou après elle, pour la rassurer … Après 2h00, la décision est prise d’annuler le déplacement, d’aller juste faire un petit tour et de reprendre l’après-midi une « vraie » et bienveillante leçon d’embarquement.
Nous avons appris à tous nos chevaux, et à tous ceux qui nous ont été confiés, à embarquer librement, dans le confort et la confiance. Au point que le camion, ou le van, s’appelle dans le langage des Chevaux Autrement : « La boîte à pommes » !!! Dreki, dès 18 mois, alors qu’il devait aller à l’école vétérinaire (lui aussi …) se faire opérer pour un testicule coincé dans l’abdomen, est monté librement en suivant l’exemple du grand Vizir qui entrait dans le camion en liberté, allait se placer correctement et attendait tranquillement que l’on vienne lui poser son licol. Ulhan, Isba, Blossom, Rôdeur, et tant d’autres, ont appris à le faire aussi bien.
Sangria pose un autre type de problème : elle connaît l’embarquement, les camions et les vans, son attitude le prouve. Mais elle refuse avec une grande détermination d’y monter. Même avec son amie de pré dont la présence devait lui prouver qu’elle allait bien revenir à la maison. Rien n’y fait sauf, ce matin, notre détermination … et sa fatigue ! Elle a finalement cédé, certes, mais elle n’a pas appris. A nous de revoir ce que nous savons, en commençant la leçon d’embarquement avec un cheval qui, a priori, n’a pas d’hostilité pour l’exercice.
On commence donc avec Bahya (6 ans) qui n’a embarqué que trois fois dans sa vie : pour venir à la Ferme il y a 3 ans et cela avait été long et laborieux ; pour aller se faire soigner il y a 2 ans alors qu’elle avait une grosse piroplasmose avec une très forte fièvre et elle n’était pas en mesure de résister ; pour rentrer à la maison et elle avait embarqué d’un bon pas !

Nous lui proposons d’embarquer librement, en laissant le camion ouvert et en posant des carottes sur le pont. 5 minutes de reniflage, 2 minutes en bas du pont et hop ! Elle a embarqué calmement, a mangé ses carottes tranquillement et est redescendue doucement. 5 minutes à pâturer et elle est revenue voir dans le camion s’il ne restait pas de carottes … La prochaine fois, nous mettrons le licol et la longe et nous fermerons le bas flanc et la barre de queue. Le travail est bien engagé, la jument est en confiance, le camion est une zone de confort, elle n’y a jamais eu ni peur ni souffrance, tout se déroule donc pour le mieux.

On continue avec Sangria …De son passé de voyageuse, on n’en sait rien. Nous sortons donc Sangria et nous la laissons pâturer librement dans le parking, camion ouvert et carottes sur le pont. Elle a un licol plat, que nous allons changer pendant l’exercice pour un licol à nœuds, plus précis et surtout plus stable si nous posons très légèrement la main.

C’est d’abord Pierre qui propose à Sangria de s’approcher du camion, puis du pont, sans pression, sans rien demander d’autre que du calme et de la confiance à l’abord de ce « monstre ». La jument accepte volontiers mais si on touche le bas de la croupe à ce moment-là, ses yeux se révulsent et elle est proche de la panique. Elle sait ce que nous attendons d’elle, elle est montée dans ce camion le matin, mais elle ne se résout pas à le faire seule … malgré sa gourmandise … Pierre va rester longtemps assis au bas du pont à caresser Sangria, à lui parler doucement à la rassurer et à l’encourager. La jument soupire souvent, de longs et profonds soupirs, en appuyant sa tête sur celle de Pierre.

Je prends le relai, d’abord la main au licol, puis sur la longe et je propose à Sangria de poser un pied sur le pont. Je vais utiliser l’approche la plus positive possible en limitant tout « renforcement négatif » (de type pression-tension-cession par exemple) au très strict minimum. Je « laisse gagner » la jument en lâchant complètement la longe dès qu’elle manifeste une intention de venir vers moi, avant même un pas. A chaque pas, la jument « gagne » … Elle ne « cède » pas, elle vient. Jusqu’à monter sur le pont, aidée du seau d’herbes qu’elle affectionne, jusqu’à entrer dans le camion où elle finit son seau tranquillement, en regardant autour d’elle, tout étonnée de ne pas être immédiatement attachée, enfermée, isolée.

On reste là un long moment, puis je lui propose de redescendre avant qu’elle n’ait complètement fini son seau. Elle recule doucement, tranquillement et elle descend bien droit sans précipitation. Arrêt en bas du pont, gratouilles et pâture en liberté. 45 minutes, contre les 2h00 du matin, le progrès est immense.

Je lui demande ensuite de m’accompagner librement (sans rien tenir en main) jusqu’au bas du pont où elle est récompensée à nouveau. Puis retour au pré !
Sangria nous a donné beaucoup d’informations sur son passé au cours de cette séance. Manifestement, elle a déjà (souvent ?) été embarquée de force, une corde autour de la croupe, peut-être même avec des coups pour qu’elle avance. Elle s’est sûrement cognée violemment en se pointant puisqu’elle ne voulait pas avancer et qu’elle ne pouvait pas reculer. Elle craint terriblement d’embarquer, ses souvenirs sont toujours présents et, même si elle nous manifeste une formidable confiance, elle doit faire un très gros effort pour accepter notre demande. En enlevant les tensions-pressions, elle s’est sentie libre et elle n’a pourtant pas reculé : plus besoin de résister, mais encore besoin de réfléchir.
Dans deux jours, nous recommencerons le même exercice dans le même esprit : pas de tensions-pressions, des renforcements essentiellement (exclusivement) positifs et tout le temps qu’il faut. Si la plupart de nos chevaux embarquent en liberté, il faudra peut-être encore du temps à Sangria pour y parvenir … Mais cette jument ne cesse de nous étonner, et tous ceux qui la côtoient, par la vitesse avec laquelle elle comprend ce qu’on lui demande et qu’elle apprend des choses nouvelles. Elle n’a sans doute pas fini de nous étonner. Et nous avons repris rendez-vous pour elle à l’école vétérinaire parce que nous faisons confiance à son intelligence, comme elle nous fait confiance, elle aussi … La relation est réciproque et tout le monde en sort grandi, les chevaux tout autant que les humains …
La leçon d’embarquement vaut aussi pour les humains. Ils doivent accepter que, même si le cheval sait ce que l’on attend de lui, même s’il l’a déjà fait, même s’il est adulte, il a le droit de refuser, il a le droit de réfléchir, il a le droit de prendre son temps.
Bien sûr, on pourrait travailler sur le « confort-inconfort », en rendant « confortable » la zone du camion, puis le camion lui-même et « inconfortable » les abords, le pré dans les refus et les reculades. On sait que cette technique fonctionne, qu’elle donne des résultats et nous l’avons pratiquée nous aussi. Mais…
Mais nous ne sommes pas convaincus aujourd’hui que le cheval accepte, qu’il comprend fondamentalement ce que nous lui proposons. Il échappe à l’inconfort, il ne choisit pas le confort. Nous voulons qu’il comprenne qu’il peut aller librement vers le confort que nous lui proposons. S’il le comprend, les embarquements suivants se feront aisément. Si le cheval se contente d’échapper à l’inconfort, il y a de grands risques qu’il faille renégocier chaque embarquement.
Les chevaux sont « gentils », ils utilisent rarement leur force phénoménale pour refuser d’aller où nous les emmenons. Ils manifestent trop discrètement leur désaccord, leur désarroi devant nos demandes humaines. Nous ne voulons pas abuser de cette « gentillesse ». Nous voulons les entendre quand ils nous disent « non », si discrètement. C’est le prix de la confiance durable, du confort de notre présence près d’eux, mais aussi de notre sécurité et de la leur.
C’est plus long d’agir ainsi. Ce n’est pas spectaculaire. Nous ne « gagnons » pas. Mais nous sommes convaincants, nous inspirons confiance, nous sommes confortables et bienveillants. Avec les chevaux, nous ne pouvons pas être les plus forts !!! Et, quand bien même, nous ne le voulons pas … Nous leur proposons une action contre leur nature = monter dans une boîte. Nous nous devons, et nous leur devons, de les accompagner paisiblement en acceptant leur réticence, leur résistance, leur refus. Sans rien céder de notre intention, de sa clarté. Notre détermination est rassurante si elle sait rester sereine. Et alors, ils viennent sur le chemin que nous leur ouvrons. Librement. Le plus beau des cadeaux …
Car ce n’est pas l’objectif qui compte mais le chemin que l’on emprunte pour l’atteindre.

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